- Jun 3, 2024
Apprendre à changer d’avis
- Arnaud Kervarec
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L’apprentissage n’est pas quelque chose de linéaire.
C’est encore plus vrai à mesure qu’on gagne en expérience.
On a parfois le sentiment de stagner.
Ça peut durer des semaines, des mois.
On pense alors avoir compris l’ensemble d’une problématique.
Il nous reste peut-être de la pratique, mais par contre, coté théoriques, c'est clair dans notre esprit.
On commence même à l’expliquer autour de nous.
Et puis d’un coup, une discussion, une lecture, une expérience va nous faire adopter un point de vue nouveau. On va alors se retrouver face à une série de nouveaux chemins à explorer.
C’est ce qui m’est arrivé dernièrement concernant la chaîne de production audio.
Optimiser sa chaine de production audio
Pour mes morceaux, j'ai toujours adopté une logique de séparation des étapes de travail.
Prod, Mix, Master, avec des exports entre chaque…
Et c’est aussi le chemin que je recommande généralement.
Mon postulat de base, c'est que composer, arranger, donner des caractères aux pistes puis créer du liant entre elles, sont des activités bien différentes.
Et toutes ces activités nécessitent un état d’esprit et un contexte matériel bien différent.
Il est donc nécessaire de séparer ces étapes de travail afin de travailler plus efficacement.
Tout ça je l’ai complétement intégré dans ma pratique.
J’ai produit et obtenu de bons résultats avec cette façon de voir les choses.
Mais en même temps, depuis plusieurs années, je cherche à imbriquer aux mieux ces 3 étapes.
Je suis dans une optique d’anticiper au maximum les opérations à venir depuis la prod.
Ne pas attendre le mix et encore moins le master pour façonner mes morceaux.
Donner un max de caractère, prémacher le travail, donner du sens le plus tôt possible.
J’ai tellement anticipé les process que j’en suis arrivé à me dire que penser la production de mes titres en séparant ces étapes de travail n'a plus du sens.
C'est d'autant plus valable dans la mesure où je produis, mix et masterise tout en autonomie.
J’ai donc changé de perspective sur la production de mes deux derniers titres :
Ce qui importe, c'est de répondre aux questions :
Est-ce que chaque instrument a sa place ?
Est-ce que la dynamique est suffisamment contrôlée ?
Est-ce que la balance tonale correspond au style du morceau ?
À ton une impression de profondeur ? De largeur ?
Peu importe l’étape de production où on gère ces éléments.
Ce qui importe, c'est premièrement le résultat et ensuite la facilité avec laquelle on obtient de résultat.
Plutôt que de réfléchir en termes d’étape de production : rec - prod - mix - master, je m’intéresse à la façon dont sonne le morceau et je me demande comment l’améliorer sans attendre.
Pour cet EP, j'ai donc fait le choix de bousculer mes certitudes et donc de me passer du mix
Mais attention, quand je dis que je me passe du mix, je parle de l’étape bien définie que je désignais comme telle.
Je parle de l’export multipistes à la fin de ma prod, puis de l’import dans un nouveau template. Je parle du fait de refaire une mise à plat etc.
C’est de tout ça dont j’ai décidé de me passer.
Par contre, toutes les opérations que je réalisais pendant le mix, sont bien réalisées à un moment.
Depuis ma session de prod, j’exporte donc des groupes de pistes, ce qu'on appelle des stem (kick, snare, drums, bass, synth…)
Et je les importe dans une nouvelle session.
Cette nouvelle session va me permettre de finaliser le titre en appliquant des traitements sur les groupes ainsi que sur le master. Le tout en profitant au mieux de mes machines hardware.
Ça n’a l’air de rien, mais ce changement de perspective n’est pas quelque chose d’évident à faire.
Il m’a fallu laisser de côté un template de mix que j’ai affiné pendant des années.
Délaissé certain plug que j’avais acheté spécifiquement pour ça.
Et puis surtout, il m'a fallu aller contre moi-même.
C’est ce qu’on appelle le biais de cohérence.
J’ai dit et répété publiquement une chose, je n’ai donc pas intérêt à dire le contraire.
J’ai quand même mené l’expérience et voici ce que j’en ai tiré.
Au final, qu’est-ce que cette façon de faire ma permis ?
Une utilisation plus aisée de mes machines hardware et donc un travail vraiment plaisant
Un temps de productions beaucoup plus court (moins d’exports, pas d’opérations en double (comme la mise à plat)
Une meilleure flexibilité pour optimiser la loudness (car je travaille avec les stem plutôt que l’export stéréo du mix au moment de finaliser le titre)
Moins de chance de casser des équilibres validés à l’étape de la prod
Des exports de stem pour l’archivage qui sont déjà faits !
Mais alors lequel de ces workflow est le bon ? Quelle est la bonne vision à avoir ? On sépare les étapes de travail ou non finalement ?
En reprenant mes notes de l'excellent livre The Creative Act de Rick Rubbin, je suis tombé là-dessus :
For every rule followed, examine the possibility that the opposite might be similarly interesting. Not necessarily better, just different.
Aucune de ces deux démarches n’est en soi mieux que l’autre.
Par contre, le fait de comprendre les deux approches peut te permettre d’avoir une vision plus claire de la production audio.
Explorer cette nouvelle voie à non seulement fait évoluer mon son, m'a fait utiliser mes outils différemment. Mais cela me fait aussi, paradoxalement, mieux percevoir les avantages et inconvénients de mon workflow initial.
Et au final, ce n’est même pas cette question de savoir si oui ou non, il faut séparer les étapes de travail qui est la plus importante.
Ce qui importe, c'est de savoir si tu es capable de remettre en question ce que tu crois savoir pour progresser.
Si tu as l’impression d’être sur un plateau.
Si tu as l’impression de stagner, peut-être qu’il est temps de changer de perspective.
Sur quoi as-tu changé d’avis cette semaine ?
Voilà une question que je me pose chaque vendredi lors de ma revue hebdomadaire.
C’est un bon moyen pour moi de conscientiser un apprentissage important. Que ce soit en musique ou dans tout autres domaines de ma vie d'ailleurs.
Se poser cette question au regard de ma semaine passée est un bon début.
Mais toute cette expérimentation sur mon nouvel EP me pousse à aller encore plus loin.
Est-ce qu’on ne pourrait pas aller volontairement identifier nos certitudes pour les remettre en question ?
Et puis surtout, une fois ces certitudes identifiées, comment transformer ce questionnement en action concrète, voire en production.
J’ai donc été chercher quelques certitudes à bousculer.
Je ne parle pas ici d’aller tester d’autres techniques, d’autres réglages sur des instruments.
Non, je parle de prendre une problématique sous un autre angle.
J’en suis qu’au début de cette réflexion, mais voici déjà quelques pistes que j’ai identifiées pour savoir ce sur quoi on peut aller travailler :
Avec nos émotions : ce qui nous passionne ou au contraire nous énerve
Ce qu’on répète souvent
Ce qui vient d’un argument d’autorité
Ce qu’on ne comprend pas tout à fait techniquement
Ce qu’on fait par habitude – qui ne nous coûte pas d’énergie
Ce qu’on fait pour le biais de cohérence
Je suis donc en train d'explorer ces voies pour voir si cela peut m'aider à faire de la musique différemment. Ce sera surement le sujet de prochain articles.
Et en attendant, je t'invite à en faire de même, notamment si tu as l'impression de stagner techniquement ou artistiquement.